Algèbre tensorielle en espace affine
Soit
un espace vectoriel
de dimension n sur un corps K de scalaires. Dans la suite du cours,
nous considérerons que la dimension de
est finie et que le corps K est commutatif.
Dans ce chapitre, nous supposerons que
est doté simplement d'une structure affine. C'est-à-dire que, outre
l'égalité, les seules relations envisagées entre les éléments de
seront l'addition et la multiplication par un
scalaire.
Soit
une base de
. Un vecteur
quelconque de
est
alors une combinaison linéaire des vecteurs de la base :
![]()
Soit
une nouvelle base
de
. On aura alors de nouvelles
composantes pour
:
![]()
D'autre part, la nouvelle base est reliée à l'ancienne par les formules de changement de base et la matrice A associée :
![]()
Ce qui nous donne :
![]()
Mais de plus la matrice de changement de base est inversible et on peut lui associer son inverse B :
![]()
On aura donc :
et ![]()
Les formules précédentes amènent la remarque suivante :
Alors que la nouvelle base a été définie en fonction de l'ancienne à l'aide des éléments de la matrice A, les nouvelles composantes du vecteur s'expriment en fonction des anciennes à l'aide de la matrice inverse B.
On exprime ce fait en disant que les composantes d'un vecteur de
sont contravariantes dans un
changement de base sur cet espace. On dit qu'un vecteur de
est un tenseur contravariant du premier ordre sur
.
Remarque : Pour plus de clarté dans les formules, nous avons employé des lettres majuscules pour tout ce qui se rapporte au second système de coordonnée, même pour les indices. Il est évident que ce genre de notation ne pourra être maintenu dans la suite où nous pourrons être amené à considérer plusieurs changement de base consécutif.
Dans le chapitre portant les espaces vectoriels nous avons défini les applications linéaires.
Nous appellerons forme linéaire toute application linéaire de
sur le corps des scalaires K.
Une telle forme linéaire est donc un opérateur du type :
![]()
La notion de linéarité imposant :
![]()
On obtient donc dans une base
:
![]()
On constate que
apparaît comme une combinaison linéaire des
. Toutefois, d'après sa définition, l'expression
représente un
scalaire intrinsèque, c'est à dire indépendant de la base
utilisée dans
.
De fait, un changement de base
nous conduit aux relations :
avec ![]()
On obtient aussi :
![]()
Ces formules nous montrent que les coefficients
de notre forme linéaire varient dans le
même sens que les vecteurs de base dans un changement de base. Nous dirons qu'ils sont covariants
dans un changement de base.
On peut remarquer la notation employée. Arbitrairement, les vecteurs de base sont notés avec des indices inférieurs. Les vecteurs contravariants ont donc des indices supérieurs, alors que les coefficients covariants sont notés aces des indices inférieurs. Ce type de notation est celui que nous allons employer dans la suite.
Considérons l'ensemble des formes linéaires sur
. Nous admettons que muni des lois de
composition suivantes, cet ensemble est un espace vectoriel :
Addition de deux formes linéaires ![]()
Produit d'une forme linéaire par un scalaire ![]()
On admet la notion d'égalité entre deux formes linéaires :
![]()
On aura en particulier la forme nulle :
![]()
L'ensemble des formes linéaires sur K est un espace vectoriel appelé espace dual de
et noté
.
Recherche d'une base de ![]()
étant un espace
vectoriel, on peut toujours définir une base de cet espace vectoriel. Toutefois nous
allons rechercher une base particulière de
présentant des propriétés simples et rendant les calculs plus
commodes.
Considérons comme éléments particuliers de
les n formes linéaires définies par
:
![]()
On démontre sans difficulté que pour toute forme linéaire f on a :
![]()
De plus la suite
est
libre. De fait elle constitue une base de
. Ce qui nous amène aux conclusions suivantes :
L'espace
dual de
a la même dimension que
.
Il admet la base
appelée base duale de la base
de
.
Les coefficients d'une forme linéaire f, relativement à la base
de
ne sont que les composantes de f suivant la base
de
.
Dual de l'espace dual
En recherchant l'espace vectoriel dual de l'espace vectoriel
, on obtient un espace vectoriel de dimension n
qui par correspondance peut être assimilé à l'espace vectoriel
lui-même. La dualité est une relation
réciproque.
Dans la dualité, la covariance devient la contravariance si nous adoptons
au lieu de
comme espace initial. Il est alors évident
que les notions de variance seront étroitement dépendantes de l'espace vectoriel
initial.
Soient
et
deux espaces vectoriels, distincts ou non, de
dimensions finies n et m sur le même corps commutatif K de
scalaires.
On rappelle que l'ensemble des couples
tels que
et
est noté En ´
E'm.
On appelle produit tensoriel de
par
et on le note
, un troisième espace vectoriel de dimension nm sur le corps K muni d'une application de
dans
satisfaisant aux propriétés ci-après :
* La multiplication tensorielle est distributive, à droite comme à gauche, par rapport à l'addition .
* La multiplication tensorielle est associative avec la multiplication par un scalaire.
* Si p vecteurs
sont linéairement indépendants et si q vecteurs
, les produits
le sont aussi.
A partir d'une telle loi de composition, il est possible d'établir une
table d'opération. Considérons
[resp.
] une base de
[resp. de
]. D'après
la troisième propriété, on obtient une base de
en formant les nm produits :
avec i = 1,2, ... , n et j = 1,2, ... , m
Cette base
est appelée base
associée dans
aux bases
de
et
de
.
L'élément générique de
est défini par :
![]()
Propriétés
1- Avec les propriétés de définition, on peut dire que la
multiplication tensorielle des éléments de
par les éléments de
est une application bilinéaire de
dans
.
Attention, il faut bien distinguer une application dans
et non pas une application sur
. En effet, dans le cas général on ne peut
pas associer un couple
de
à tout élément
de
. Ceci nous conduirait à rechercher n+m inconnues
par partir de nm équations
.
Ainsi l'ensemble des produits
n'est en général qu'une partie de
. On dit que les
sont
les éléments décomposés de
.
2- Le produit tensoriel de deux vecteurs n'est pas commutatif en
général. Considérons en effet la multiplication tensorielle d'un élément de
par un élément de
. Il faut tout d'abord noter que le problème
de la commutativité ne peut se poser que si les deux espaces sont identiques. Dans ce
cas, le produit
est distinct du produit
puisque les deux éléments
et
appartiennent à une base de
.
On remarque que la définition de la multiplication tensorielle permet un
calcul en cascade. En effet la multiplication tensorielle de deux espaces vectoriels
et
nous donne un troisième espace vectoriel
. Ce dernier peut à nouveau servir à la
définition d'un espace vectoriel
à
partir d'un espace vectoriel
.
On imagine aisément la généralisation qui peut être faite.
Toutefois, afin d'éviter des difficultés complémentaires, nous imposerons une quatrième propriété à la multiplication tensorielle.
La multiplication tensorielle des éléments de plusieurs espaces vectoriels est associative.
Pour assurer cette associativité, il suffit de se l'imposer sur les vecteurs de base.
![]()
On peut donc maintenant donner une définition générale des tenseurs.
Nous appellerons tenseurs sur
, tout élément de l'espace vectoriel
.
L'expression générale de ces tenseurs est donc :
![]()
Les termes
représentent les composantes de
suivant la base
. Il est évident que ces composantes sont
fonctions des bases.
Considérons les changements de base suivants :

Dans la nouvelle base, les composantes
du tenseur
sont définies par la notion
d'invariance de ce tenseur dans tous changement de base :
![]()
On peut alors en déduire les relations fondamentales suivantes :
![]()
En fait, en général, les tenseurs employés sont plus restrictifs car
ils ne sont définis qu'à partir d'un espace vectoriel
et de son dual
.
On appelle tenseur d'ordre p sur
tout tenseur sur un produit de p espaces vectoriels dont chacun est identique à
ou à son dual
.
Ce tenseur est dit affine si l'espace vectoriel
est dotée d'une structure affine.
Les conventions de notation pour un tenseur
de l'espace vectoriel
sont les suivantes :
- Tous les facteurs
du
produit
seront rapportés à une même
base
.
- Tous les facteurs
du
produit
seront rapportés à une même
base duale
.
Ainsi à toute base
de
correspond une base
de
. Nous dirons que les composantes de
suivant cette base sont les
composantes de
suivant la base
.
Ces composantes seront notées
. Un indice supérieur (resp. inférieur) correspondra donc à chaque
facteur de base pris dans
(resp.
) et les rangs latéraux des indices
reproduiront l'ordre des facteurs de base correspondants.
Exemples
1- Considérons que
soit
en fait
.
L'ensemble des formes linéaires sur
est l'espace vectoriel dual
. Avec une seule multiplication tensorielle, nous pouvons
faire apparaître quatre espaces vectoriels dont la dimension est 9 :

2- Un élément de
sera
noté :
![]()
Changement de base
Un changement de base est défini par les relations suivantes :

Dans l'exemple ci-dessus, les nouvelles composantes du tenseur
sont :
![]()
Ce qui nous donne :
![]()
Les formules précédentes montrent bien l'intérêt d'une notation qui de prime abord semble un peu lourde.
Réciprocité
Inversement donnons-nous à priori une suite
de
composantes de
.
Nous dirons que cette suite est tensorielle sur
si ce sont les composantes d'un tenseur, autrement dit si
est un élément intrinsèque de
.
En fait, on peut traduire la tensorialité par l'affirmation suivante :
Pour qu'une suite
de
composantes de
soit tensorielle sur cet espace, il faut et il suffit que le changement de base
la transforme en une suite
telle que :
On peut donc remarquer qu'il existe une correspondance biunivoque entre
les tenseurs sur
et les suites
tensorielles sur cet espace. Pratiquement nous ne distinguerons pas le tenseur
de la suite tensorielle
et on notera
en sous-entendant la référence à la
base
.
1- Tenseur de KRONECKER
Noté
ou encore
(et donc tout simplement
), le symbole de
KRONECKER est tensoriel sur tout espace vectoriel
. Le tenseur associé dont les composantes suivant une base
particulière
sont
, est très caractéristique car les
composantes sont indépendantes de la base utilisée. En effet, dans une autre base
, les composantes de ce tenseur sont :
![]()
2- Attention, noté
ou encore
, le symbole
de KRONECKER n'est pas tensoriel.
3- Dans le même ordre d'idée, il faut noter que les coefficients
d'un changement de
base ne sont pas tensoriels. La première caractéristique d'une suite tensorielle est de
n'être fonction que d'une seule base. La suite
est fonction du couple de base
.
4- Considérons la suite
des neuf produits scalaires des vecteurs de la base
de
:
![]()
Cette suite est symétrique car on a :
![]()
Cette suite tensorielle constitue la suite des composantes d'un tenseur
appartenant à
appelé
le tenseur fondamental sur
.
En géométrie, son importance est capitale, car la connaissance des neuf
produits scalaires
détermine les
longueurs des vecteurs de base et les angles qu'ils font deux à deux.
Si on admet que le produit scalaire est une forme linéaire sur
, on peut alors introduire les composantes
covariantes des vecteurs de
. Elles sont définies par :
![]()
On peut alors exprimer le produit scalaire de deux vecteurs quelconques :
![]()
Ainsi, pour obtenir le produit scalaire de deux vecteurs, il suffit de multiplier les composantes covariantes d'un vecteur par les composantes contravariantes de l'autre vecteur et de faire la somme de ces produits.
5- Un tenseur d'ordre p sur
est apparu comme défini par une suite de
composantes. En
étendant cette notion à p=0, on obtient un être à une seule composante, sans
variance, qu'on appelle un scalaire intrinsèque.
Pour la généralité de certains énoncés, il sera effectivement utile d'assimiler les scalaires intrinsèques aux tenseurs d'ordre 0.
On remarque, sur un tenseur d'ordre deux, que l'égalité
avec
est invariante pour tout changement de base. C'est une propriété
intrinsèque à la suite tensorielle.
Si
, on dit que le
tenseur est symétrique et si
on
dit que le tenseur est antisymétrique.
Ces notions de symétrie et d'antisymétrie peuvent être généralisées à des tenseurs d'ordre supérieur à deux. L'observation vaut alors pour des symétries ou des antisymétries partielles, c'est à dire portant sur la transposition de deux indices particuliers, pourvu que ces deux indices soient à la même hauteur.
Ainsi le tenseur suivant est symétrique
![]()
En particulier, si un tenseur est complètement contravariant (ou complètement covariant), il se peut que toute transposition de deux indices change la composante correspondante en elle-même (resp. en son opposée). On dira alors que le tenseur est complètement symétrique (resp. complètement antisymétrique).